Identifier les dérives sectaires

Identifier les dérives sectaires

Que ce soit au sein de sectes coercitives ou dans un contexte professionnel, d'enseignement, de relation thérapeutique, le phénomène d'emprise est dévastateur sur le plan psychique pour celle ou celui qui le subit. Quelques clés pour le repérer et s'en prémunir…

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Sommaire

- Des sectes inoffensives
- Vrais et faux gourous
- Des sectes coercitives
- Une déstructuration psychique
- Des pratiques détournées de leur objectif
- Le phénomène d'emprise
- Des pathologies graves du narcissisme chez les "maîtres de secte"
- Les sectes mais pas que…
- Des mécanismes qui doivent alerter

Quand on parle de sectes, on a en tête les arnaques de Moon, les défilés d'Hare Krishna, les suicides collectifs de l'Ordre du Temple Solaire ou l'attentat au gaz sarin d'Aum à Tokyo. On a vu le film de Sarah Suco, "Les Éblouis", en 2019, d'après une glaçante histoire vécue par la réalisatrice dans une communauté charismatique catholique. Et depuis 2015, toute la société française a été bouleversée, à plusieurs reprises, à la suite d'assassinats perpétrés par une poignée d'islamistes… C'est dire l'urgence et l'importance de mieux cerner les phénomènes sectaires.

Des sectes inoffensives
Le Larousse donne de la secte trois définitions possibles : "ensemble de personnes professant une même doctrine (philosophique, religieuse, etc.)" ; "groupement religieux, clos sur lui-même et créé en opposition à des idées et à des pratiques religieuses dominantes" ; "clan constitué par des personnes ayant la même idéologie".

Les sectes existent depuis toujours, dans toutes les cultures. Les différencier des religions relève souvent de la gageure.
"Plusieurs formes de sectes existent. Elles ne sont pas toutes nécessairement dangereuses"*, explique Delphine Guérard, psychologue et psychanalyste. Il existe, selon elle, d’innombrables petits groupes à caractère philosophique, religieux ou ésotérique qui se réunissent autour d’un maître spirituel ou "gourou", qui organisent des stages, des conférences, des formations et qui éditent des ouvrages.

Vrais et faux gourous
Le mot gourou est une adaptation de "guru" en hindi, qui signifie "vénérable", selon le dictionnaire de l'Académie Française. En français courant, il a néanmoins une connotation péjorative et désigne un dirigeant de secte dont on considère a priori qu'il est un imposteur.
"La méfiance de notre pays à l'égard des gourous nous ferait presque oublier qu'il en existe des "vrais". Ancrée dans la peur de tomber dans la crédulité et de se faire abuser, elle nous rend souvent exagérément critiques"**, affirme Yael Bloch, spécialiste du yoga.

"On peut faire la distinction entre les gourous qui sont de simples maîtres spirituels ou maîtres à penser et les "maîtres" imposteurs ou charlatans. Ces derniers ne font que soit détourner l'enseignement d'une lignée d'illustres gourous soit improviser une méthode de leur cru à base de quelques postulats religieux ou de développement personnel"*, précise Delphine Guérard.

Des sectes coercitives
À côté des groupes inoffensifs, il existe des "sectes dangereuses, coercitives, qui de par la personnalité du leader, leur fonctionnement, leur dynamique groupale, leurs procédés et leurs pratiques portent gravement atteinte à l’intégrité psychique des individus"*.

Des philosophes, des psychiatres et des psychologues ont tenté d'en définir les caractéristiques. Delphine Guérard cite dans son livre le philosophe Max Bouderlique qui préfère le terme "totalitaire" et considère qu'une secte répond à cette définition dès lors qu'elle réunit un certain nombre de caractéristiques, notamment une structure pyramidale, autoritaire, hiérarchisée, opaque, unidirectionnelle, cloisonnée. Dans ce cadre, le gourou fondateur est la seule référence de son enseignement et des règles de la secte. Son enseignement contient la totalité exclusive des vérités sur tout. S'ajoute à cela une appartenance au groupe qui exige une rupture avec tous ceux qui ne partagent pas les points de vue de la secte et qui fonde un sentiment de persécution. 

Objectif réel du gourou : la domination "corps et âme" des adeptes, la conquête du pouvoir politique mondial, la richesse "nerf de la guerre" et instrument de tout pouvoir et de toute jouissance.* 


Une déstructuration psychique
Après une phase de séduction, la secte totalitaire met sa cible en dépendance par son "enfermement dans un système fermé de références et de valeurs propres à la secte". S'ensuit "une déstructuration psychique suivie d’une restructuration sur le seul modèle défini par la secte". Sont alors utilisés des procédés et des techniques d’influence qui font intervenir le contrôle de la pensée et la manipulation mentale.

Des pratiques détournées de leur objectif
Des techniques psychocorporelles peuvent être utilisées et détournées de leur objectif premier (massage, relaxation, postures de yoga, soins énergétiques, exercices respiratoires). Alerte rouge, lorsque le "maître-thérapeute" se livre à des attouchements à caractère sexuel voire des pénétrations !
Il faut garder en tête que toute psychothérapie est destinée à promouvoir l’autonomie psychique de la personne.
"À la différence du psychologue et du psychanalyste, qui œuvrent à la promotion des droits fondamentaux des personnes, de leur liberté, de leur dignité, de la préservation de leur intimité, de leur autonomie et de leur bien-être psychologique, le Maître-de-secte agit activement sur l’autre pour le dominer à des fins narcissiques, le guider, le diriger, penser à sa place, projeter sur lui ses désirs, ses fantasmes, plaquer ses théories et imposer sa vision du monde."*

Le phénomène d'emprise
Au centre de la secte coercitive se situe le phénomène d'emprise qui s'exerce de manière perverse, selon Delphine Guérard.
La personne qui se retrouve sous emprise est ainsi reléguée au statut d'objet, "dépossédée de son corps et de sa subjectivité, elle perd ses capacités à penser et méconnaît son état d’assujettissement"*.
(Voir : Se protéger des manipulateurs et des manipulatrices)

Des pathologies graves du narcissisme chez les "maîtres de secte"
Quant aux personnalités qui exercent cette emprise, elles présentent "des pathologies graves du narcissisme et des troubles du fondement de l’identité"*.
"Leur seule véritable compétence est (…) de pénétrer directement dans le fonctionnement psychique d’autrui pour l’assujettir, aliéner sa pensée, car l’autre doit se retrouver ébloui par lui, fusionner avec lui, se dévouer totalement à lui, tout lui donner, tout lui céder, être dépendant, et incapable de se séparer de lui."*

Les sectes mais pas que…
Le phénomène d'emprise n'est pas exclusif au monde des sectes ou de la religion. C'est une dérive qui peut concerner notamment toutes les personnes ayant autorité que ce soit dans le secteur de l'entreprise, de l'enseignement, de la santé physique ou mentale… C'est le cas de la plupart des exemples cités dans le livre de Delphine Guérard* : un escroc qui extorque des fonds à une famille fortunée, un "coach" qui profite sans vergogne de ses clientes sur le plan sexuel et financier, des "psychothérapeutes" qui se livrent à des attouchements sur leurs patientes, un "hypnothérapeute" qui induit des souvenirs fictifs… On est ici en présence de graves fautes et abus professionnels qui relèvent du pénal (voir encadré) et de la sanction d'un potentiel conseil de l'ordre.

Des mécanismes qui doivent alerter
Mis à part un guide spirituel juif violeur et une mystique illuminée qui se prend pour l'épouse du Christ, on peine à identifier chez les imposteurs qui jalonnent le livre, toute structure de type sectaire ou religieuse.
Par ailleurs, on ne peut que regretter que l'enrichissant et indispensable travail d'analyse réalisé par Delphine Guérard ait fait l'impasse sur les phénomènes liés à l'islam qui devraient être aujourd'hui en tête des priorités de celles et ceux qui se consacrent à la lutte contre les dérives sectaires.

Néanmoins, que ce soit au sein d'une secte coercitive, chez un psy, un enseignant ou un praticien de santé, les mécanismes d'emprise qui sont à l'œuvre utilisent les mêmes ressorts psychologiques. Ils doivent nous alerter immédiatement.

 

Sources :
*L'emprise sectaire, Psychopathologie des gourous, Delphine Guérard, éditions Dunod
**Ashram, Voyage aux sources du yoga, Yael Bloch, éditions La Plage

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Sectes : le cadre légal en France

Les "dérives sectaires"
Conformément au respect du principe de laïcité et de la liberté de conscience, il n’existe pas, en France, de législation visant à définir une secte et à restreindre les droits de ses membres. Seules les "dérives sectaires" font l’objet d’une attention de la part des pouvoirs publics.

"La dérive sectaire est un dévoiement de la liberté de pensée, d'opinion ou de religion qui porte atteinte à l'ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l'intégrité des personnes", selon la Miviludes (voir plus bas).

Abus de faiblesse de personne en état de sujétion psychologique, agressions sexuelles, viols, corruption de mineurs, violences, chantage et actes d’intimidation, actes de torture et de barbarie, exercice illégal de la médecine, fraude fiscale, escroqueries, extorsions de fonds… De nombreux dirigeants de sectes ont été ainsi condamnés par la justice en France ces dernières années.

La loi About-Picard
"Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse apparente et connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables".

Les peines encourues sont aggravées (cinq ans d’emprisonnement et 750 000 € d’amende), "lorsque le délit est commis par le dirigeant ou le représentant de fait d’une personne morale poursuivant des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités".*

La Miviludes
Mise en place en 2002, la Miviludes (Mission de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires) est censée identifier et réprimer non pas les sectes, qu'elle reconnaît impossibles à définir, mais un certain nombre de dérives.
"À défaut de définir juridiquement ce qu’est une secte, la loi réprime tous les agissements qui sont attentatoires aux droits de l’homme, aux libertés fondamentales ou qui constituent une menace à l’ordre publique, commis dans le cadre particulier de l’emprise mentale."
Peu importe pour elle que la dérive soit commise "par un mouvement sectaire, par un nouveau mouvement religieux, par une religion du livre ou par un charlatan de la santé".*

Vie Saine et Zen