Loin des conceptions anciennes qui faisaient des hommes des êtres coupés de leurs émotions, on assiste à l’émergence d’une nouvelle définition de la virilité, plus sensible et plus authentique.
Sommaire
- L’origine historique de la “virilité stoïque” : les figures du passé
- La perception moderne : un héritage qui pèse lourd
- Redéfinir la virilité : vers une masculinité plus authentique
- Comment encourager un changement positif ?
- Conclusion : une nouvelle définition de la virilité
Pendant des siècles, la figure de l’homme fort, impassible et maître de ses émotions a dominé les représentations culturelles de la masculinité. Cet archétype, souvent qualifié de “virilité stoïque”, continue à influencer la manière dont beaucoup d’hommes perçoivent leurs émotions et la façon dont ils choisissent de les exprimer ou plutôt de les réprimer. Mais d’où vient cet idéal ? Comment a-t-il façonné les générations d’hommes actuels ? Et est-il encore pertinent à notre époque où la santé mentale est au cœur des préoccupations ?
L’origine historique de la “virilité stoïque” : les figures du passé
L’idée de la virilité stoïque tire son origine du stoïcisme, une école de philosophie fondée dans la Grèce antique par Zénon de Citium. Les stoïciens prônaient l’acceptation du destin et la maîtrise de soi comme une voie vers la paix intérieure. Pour les hommes, cette philosophie a souvent été interprétée comme un appel à éviter de montrer la moindre émotion. Les figures mythologiques comme Achille ou Ulysse incarnaient des idéaux de courage, de persévérance et d’endurance face aux épreuves, en affichant rarement des signes de faiblesse.
Durant l’Empire romain, cette idée s’est renforcée avec des leaders tels que Marc Aurèle, empereur et philosophe stoïcien, qui a incarné la résilience et la maîtrise de soi. Être stoïque signifiait rester fort malgré la douleur et les difficultés. Cette image s’est ancrée profondément dans la culture occidentale et a traversé les siècles pour devenir un modèle masculin dominant.
Pendant la période victorienne, le concept de l’homme stoïque a été renforcé par des valeurs telles que la discipline, le contrôle émotionnel, et l’autosuffisance. Les hommes étaient perçus comme les piliers de la famille, responsables du bien-être de leurs proches, ce qui les obligeait à réprimer toute forme de vulnérabilité qui aurait pu être interprétée comme un signe de faiblesse. Les soldats de la Première et de la Seconde Guerre mondiale ont, eux aussi, été glorifiés pour leur capacité à endurer l’horreur du champ de bataille sans se laisser submerger par leurs émotions. La phrase “les hommes ne pleurent pas” est devenue un mantra, signe de force et de stabilité.
La perception moderne : un héritage qui pèse lourd
Aujourd’hui encore, cette vision de la virilité reste profondément ancrée dans notre société. Les hommes sont souvent encouragés, dès l’enfance, à “être forts” et à “ne pas pleurer”. Ces injonctions contribuent à forger des croyances limitantes qui ont des répercussions sur la capacité des hommes à exprimer leurs émotions, à demander de l’aide, ou à se montrer vulnérables.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon des études récentes, les hommes ont trois fois plus de risques de se suicider que les femmes. Ce chiffre est directement lié à la difficulté qu’ont les hommes à exprimer leurs émotions et à demander du soutien. La répression émotionnelle, justifiée par la crainte de paraître faible, mène souvent à l’isolement et à des troubles psychologiques non traités. Beaucoup d’hommes pensent que s’ils montrent leurs émotions, ils risquent de perdre leur crédibilité ou leur respectabilité, que ce soit dans leur vie professionnelle ou personnelle.
Redéfinir la virilité : vers une masculinité plus authentique
Pourtant la société est en train de changer. De plus en plus de voix s’élèvent pour redéfinir la virilité, en l’éloignant de la “stoïcité” rigide et en la rapprochant de l’authenticité émotionnelle. Les nouvelles représentations masculines dans les médias — que ce soit au cinéma, dans la musique ou même à travers des figures publiques — montrent des hommes qui pleurent, qui parlent de leurs peurs et qui s’autorisent à être vulnérables. Ces nouvelles images offrent des modèles alternatifs, plus proches de la réalité humaine.
En psychanalyse, la capacité à exprimer ses émotions est un signe de maturité psychique. Freud considérait que le refoulement constant des émotions, une des caractéristiques du stoïcisme, pouvait entraîner des névroses et des troubles psychosomatiques. Aujourd’hui, les thérapeutes encouragent les hommes à libérer leurs émotions refoulées pour éviter des effets dévastateurs sur leur bien-être mental et physique.
Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) peuvent aider les hommes à déconstruire ces croyances profondément enracinées, telles que “pleurer, c’est être faible” ou “je dois être capable de gérer seul”. En identifiant et en modifiant ces pensées automatiques, les hommes peuvent apprendre à voir l’expression de leurs émotions non comme une menace mais comme une force qui renforce leur résilience et leur connexion avec les autres.
Comment encourager un changement positif ?
Pour transformer cet héritage, il est essentiel de commencer dès l’enfance. Les parents, les éducateurs et la société dans son ensemble ont un rôle à jouer pour encourager les garçons à exprimer leurs émotions sans honte. Cela signifie reconnaître et valider leurs ressentis, les aider à mettre des mots sur ce qu’ils ressentent et leur montrer que la vulnérabilité fait partie de l’expérience humaine.
Les hommes doivent également être soutenus pour qu’ils puissent redéfinir leur propre vision de la virilité, sans le poids des attentes traditionnelles. Être fort ne signifie pas ignorer sa souffrance, mais au contraire, reconnaître ses limites et savoir demander de l’aide quand c’est nécessaire. En libérant la parole sur les émotions, on ouvre la voie à une masculinité plus complète, plus riche et, surtout, plus humaine.
Conclusion : une nouvelle définition de la virilité
L’héritage de la “virilité stoïque” est encore présent mais il est temps de repenser cette notion. La vraie force réside non pas dans la répression de ses émotions mais dans la capacité à les vivre et à les exprimer. La société change et les hommes ont désormais la possibilité de s’affranchir de ce modèle rigide pour construire une masculinité qui leur ressemble, plus authentique et plus connectée. Pleurer, montrer ses émotions, ce n’est pas renoncer à sa virilité, c’est au contraire embrasser pleinement son humanité.
En savoir +
Site de Christian Richomme, psychanalyste,
auteur notamment de La peur dans les relations amoureuses, Les éditions du net.