Maternité, paternité, sensualité

Maternité, paternité, sensualité

Méconnaissance des besoins de la mère, médicalisation excessive, confusion des rôles, réveil de la sensualité primitive et transformation de la sexualité… La période autour de la naissance de l’enfant est semée d’étonnements mais aussi d’embûches.

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Sommaire

- Maternité et sensualité féminine
- Le rôle de la médicalisation
- L’accompagnement du père
- Le rôle du père
- La parité 50/50 et la confusion des rôles
- Les transformations de la sexualité après l’accouchement
- "Respirer l’air à la même altitude"

La période de la grossesse, de l’accouchement et du post-partum (voir : Prendre soin de soi après l’accouchement) crée des transformations au sein du couple qui peuvent parfois être à l’origine de crises. Hélène Sallez*, psychologue clinicienne, psychanalyste puis haptothérapeute, répond à nos questions…

Pourquoi oppose-t-on généralement maternité et sensualité féminine ?
Hélène Sallez : On oppose souvent tendresse maternelle et sexualité. La sexualité de la femme est modifiée entre autres par ses hormones pendant la grossesse, par l’accouchement et par l’allaitement. Mais l’identification profonde à son bébé fait revenir en elle une sensualité chaste du début de la vie. Elle va développer avec l’enfant une espèce de volupté maternelle qui va donner d’autres attentes de la sexualité avec son partenaire. Et si l’homme s’est associé à la gestation, à l’accouchement et au post-partum, il va comprendre, sentir ce qui se passe, s’y ajuster et accepter le fait que la sexualité de sa compagne va changer et la sienne peut-être aussi.

Quel est le rôle de la médicalisation dans le parcours de la grossesse et de l’accouchement ?
H.S. : La grossesse est rationalisée, technicisée et toute la dimension affective et émotionnelle est mise à l’écart. On considère comme normal qu’une femme puisse faire une dépression post-partum, alors qu’en réalité ce n’est pas normal. C’est sans doute parce que sa vie émotionnelle et affective réveille parfois des douleurs anciennes et qu’elle n’a pas été respectée dans ses besoins fondamentaux de femme qui porte un enfant, qui le met au monde et qui continue à le mettre au monde, puisque nous sommes des mammifères nés prématurément. La mère a besoin de continuer à accompagner son enfant après l’accouchement (voir encadré). Il y a une méconnaissance des besoins de la mère et de ceux de l’enfant.

Comment le père peut-il accompagner la maman ?
H.S. : En développant le contact affectif le plus souvent possible avec sa compagne. Dans ce contact, il va ouvrir les canaux qui vont leur permettre de sentir ce qui se passe dans le giron et d’être touchés par l’enfant. Il y a réciprocité : la mère et le père connaissent et reconnaissent leur enfant et l’enfant les reconnaît. La voix commence à toucher la peau du bébé très tôt, avant que les oreilles soient fonctionnelles (à 6 mois et demi). Le bébé entend avec la peau. Les vibrations du liquide amniotique caressent la peau du bébé. Donc sa peau est une grande oreille. Le père va ainsi réactiver lui aussi une sensualité d’enfant active comme intelligence de vie avant et après sa naissance. Il va pouvoir être dans l’empathie par cette sensualité enfantine qui est bien antérieure à la sexualité infantile dont Freud a parlé et que je conteste. Cette sensualité chaste s’éveille donc ainsi chez le père aussi.

D’une manière générale, quel est le rôle du père ?
H.S. : Dans cette situation, le père n’est pas le séparateur de la mère et de l’enfant, comme il est dit souvent, mais le facilitateur de la rencontre… Couper le cordon n’a rien de symbolique puisque ce geste sépare l’enfant de son placenta qui n’a plus aucune activité à ce moment-là. Et le père a besoin de goûter le plaisir de l’être ensemble, à trois, dans le soin de l’enfant.

Y’aurait-il une confusion aujourd’hui entre le rôle de la mère et celui du père, à travers une volonté de parité 50/50 ?
H.S. : Dans ce cas précis, la volonté de parité 50/50 est une fausse route. Cela commence quand une femme va dire, ce qui est très fréquent : “non je ne vais pas allaiter parce que moi j’ai eu mon bébé dans mon ventre pendant neuf mois, et lui, le pauvre, il n’a pas eu cette chance alors ce serait bien qu’il donne le biberon”… Mais en réalité l’enfant n’a pas besoin que son père lui donne le biberon, sauf si elle est empêchée, car le bébé attend avant tout le sein de sa mère. Il a besoin en revanche que le père soutienne la mère pendant la gestation, l’allaitement, se fasse sentir comme un tuteur, comme un porteur bienveillant qui approche respectueusement sa compagne et l’enfant qu’elle porte et leur fait sentir sa présence. Après la naissance, la façon dont les hommes portent les bébés n’est pas la même et l’enfant a aussi besoin d’être porté comme ça, dans sa verticalité, d’être envoyé en l’air, de faire des bonds, des tourbillons… Et ça, les mères n’osent pas le faire. Elles tremblent souvent quand le père le fait. L’enfant a besoin de sentir la force et la sûreté tendre de son père. C’est une autorité naturelle.

Dans le couple, après l’accouchement, quelles sont les transformations auxquelles il faut s’attendre au niveau de la sexualité ?
H.S. : Au moment de la grossesse et de l’accouchement, il y a des identifications profondes qui vont jouer… Au bébé qu’on a été, au bébé qu’on n’a pas eu… Et tout ça va donner des modulations importantes de la libido génitale et sexuelle. Il faut les accueillir et les respecter. Ça va être propre à chaque femme et à chaque homme et c’est quelquefois très inattendu dans un sens comme dans l’autre. C’est quelque chose qui se joue dans l’intime. Si c’est compliqué ou douloureux, on peut en parler avec quelqu’un qui accompagne les couples, de préférence en haptonomie (voir : L’haptonomie tout au long de la vie). La tendresse qui surgit de cette sensualité voluptueuse et chaste avec l’enfant va inspirer différemment la sexualité du couple, avec beaucoup plus de nuances et de couleurs, moins d’impératif libidinal, plus de désir de rencontre et d’échange. Et tout cela peut les préparer tranquillement au vieillissement du couple où la sexualité change, avec le temps. C’est une ouverture, un élargissement de la vie sexuelle à l’éveil d’une libido parentale, pas seulement à la jouissance immédiate mais aussi à la joie de la rencontre empathique et altruiste.

Est-ce que c’est le bon moment dans le couple pour tenter de “respirer l’air à la même altitude” ?
H.S. : Quand on met des enfants au monde, on prend conscience de la culture, de la société dans laquelle on a grandi et de ce qu’on a subi étant enfant. En accompagnant les tout-petits, on revisite les règles du jeu et les valeurs sous-jacentes. Est-ce que ça vaut la peine qu’on interdise ceci ou cela ? Au nom de quoi est-ce que je dis non à ça, oui à ça ? On essaie de créer une nouvelle culture et, pour cela, on a besoin d’aller chercher de l’inspiration. C’est bien qu’on aille chercher ensemble cette inspiration aux mêmes endroits… à la même altitude !


*Auteure notamment de Sensualité féminine et maternité, La femme réconciliée, éditions l’Harmattan

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Le moment de l’accouchement

Que pensez-vous de l’accouchement à domicile ?
Hélène Sallez : La technique obstétricale a pris une telle place aujourd’hui ! On déclenche les accouchements à 37 ou 38 semaines pour être bien sûr que la tête ne sera pas trop grosse, que les épaules passeront bien… On enlève à l’enfant la puissante initiative de se faire naître et on enlève à la femme le soulagement de mettre son enfant au monde quand c’est le moment pour elle et lui, ensemble. Donc l’accouchement à la maison est en train de reprendre du poil de la bête et ce n’est pas forcément prendre un risque insensé parce qu’on a observé, dans certains pays nordiques, qu’il y aurait moins de décès dans les accouchements à la maison que dans les naissances très techniques. Et si l'on accouche à domicile, c’est accompagnée par deux sages-femmes pour être sûre qu’au moins l’une des deux sera présente le jour J.
(Voir : L’accouchement naturel)

Vous considérez dans votre livre* que la douleur (qui ne doit pas devenir souffrance) a un rôle à jouer au moment de l’accouchement…
H.S. : Ces douleurs ont un sens. Elles vont provoquer chez la femme des mouvements destinés à la soulager : se tourner, s’accroupir ou au contraire s’étirer, s’étendre… Il faut respecter ces réactions à la douleur, alors que souffrir est quelque chose qui ne doit pas arriver à une femme qui accouche. La douleur est un signal qui guide, qui indique ce que l’enfant est en train de faire et qui est beaucoup moins violente tant que la mère est affectivement reliée à son enfant. Tout le travail de la sage-femme traditionnelle est justement d’être à l’écoute de ce que fait l’enfant pour naître et d’aider la mère à en prendre connaissance et à l’accompagner.

Quelle est l’importance du contact peau à peau juste après l’accouchement ?
H.S. : Nous avons plein de capteurs dans la peau qui informent le système nerveux central et qui vont en conséquence modifier le tonus. C’est le principe de l’haptonomie : le contact affectif peau à peau permet de changer de tonus, de passer d’un tonus de vigilance à un tonus de quiétude où l’on se retrouve en sécurité à l’intérieur de soi et avec l’autre car on n’est pas pollué par les réflexes de défense. Et où l’on peut avoir le temps d’intérioriser le vécu, d’avoir un discernement par rapport à lui et donc une attitude adaptée. Le peau à peau crée chez la mère, chez l’enfant et chez le père un tonus de détente et de bien-être. C’est une communication en soi. Il y a de nombreux échanges d’informations qui ne sont pas conscients mais circulent et s’inscrivent en profondeur à ce moment-là. Et c’est un bien précieux.
(Voir : Accueillir son bébé avant et après la naissance)


*Sensualité féminine et maternité, La femme réconciliée, éditions l’Harmattan

Vie Saine et Zen