Il n'est pas toujours facile de s'affranchir du regard normatif et parfois destructeur que les autres portent sur nous. C'est pourtant une nécessité si l'on veut gagner en liberté et être au plus proche de soi…
Sommaire
- Regard bienfaisant ou pas
- Regard normatif de la société
- Se perdre de vue
- L'orgueil : une honte inversée
- Sortir du moule
- Tendre l'oreille vers soi
Nous sommes des êtres sociaux et le regard des autres, parents, conjoint, amis, collègues ou voisins, peut nous construire autant que nous abîmer.
Regard bienfaisant ou pas
Après la naissance, les échanges de regard avec les parents, notamment la mère, jouent un rôle fondamental dans la stabilité de la construction psychique de l'individu, rappelle Muriel Mazet, psychologue clinicienne et psychothérapeute*.
"C'est ce regard bienfaisant qui nous permet d'avancer en bravant, en dépassant les critiques et la non-considération extérieures (…). Le sentiment de confiance que ce regard a insufflé en nous, nous habitera toujours et nous permettre de faire davantage la part entre un reproche justifié qui est là pour nous faire avancer et celui qui n'est là que pour nous inférioriser et nous humilier. Nous serons capable de mettre ainsi chaque critique à se juste place."*
Mais il arrive que le regard juge, tranche, détruise, instrumentalise, comme celui du parent qui, par reproduction d'une histoire familiale difficile, dévalorise systématiquement son enfant ou vit ses fantasmes par procuration à travers lui. Comme celui du pervers narcissique qui sape au jour le jour la confiance en soi de sa victime.
Regard normatif de la société
Les injonctions de la société qui s'expriment dès l'école ont une puissance qui s'insinue jusqu'au cœur de notre vie intime : le poids de l'apparence physique, l'idée de normalité en terme de genre et d'orientation sexuelle, la tyrannie du paraître quant à la réussite sociale… Muriel Mazet rappelle les mots du Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry : "On ne voit bien qu'avec le cœur, l'essentiel et invisible pour les yeux."
Se perdre de vue
Il est pourtant très facile de se laisser piéger par la toute puissance du regard extérieur, de se mettre sous l'emprise du jugement des autres. Le doute excessif de soi, nourris par nos peurs, conduit à s'identifier au plus faible, à se perdre de vue, à ne pas savoir dire non.
Chacun peut vivre ce genre situation : ne pas oser, hésiter devant tout choix, se conformer au regard de l'autre, se plier à l'autorité, suivre la parole dominante, obéir systématiquement aux ordres donnés, ne pas faire de vagues…
Cela se produit couramment dans la relation de couple.
"Pour être aimé, nous avons souvent cette tendance presque instinctive à nous calquer sur l'autre, sur ses désirs, sur ses penchants ; à nous noyer dans son regard. Et bien souvent, dans cette amour là, nous sommes en réalité à la recherche de nous-mêmes. Nous choisissons un être pour réparer nos anciennes blessures et nos peurs. Un "amour en creux" pour combler nos manques, et un amour qui dit "si tu m'aimes j'existe" et qui devient la source unique de notre épanouissement, une sorte de support, de béquille ou de baume."*
L'orgueil : une honte inversée
À l'opposé, l'attitude qui consiste à porter un regard plein d'orgueil, d'arrogance et de mépris vis-à-vis de ses congénères est une manière de s'identifier au plus fort et de répéter ce qui a fait souffrir. Ces comportements menant à l'humiliation d'autrui ne sont en réalité qu'une inversion du manque de confiance en soi. Il s'agit d'une construction artificielle destinée à se surévaluer par peur de se mettre en face de ses propres insuffisances.
"À travers ce désir d'utiliser l'autre pour se sentir exister, le déposséder de sa véritable place pour s'affirmer, nous retrouvons finalement à la racine de ce goût du pouvoir, tout comme lorsque nous nous soumettons, ce même doute de soi : l'orgueil, cette "honte inversée"."*
Sortir du moule
Chaque être humain a besoin d'amour, d'être reconnu, de voir dans le regard de l'autre qu'il existe.
"Chacun de nous a besoin que l'on pose sur lui un regard qui l'accepte tel qu'il est, au moins une fois dans sa vie. Au moins une fois."
Pourtant, dès l'enfance, on est souvent amené à se couler dans un moule, un statut inconsciemment mis en place par les parents. Il s'agit d'un rôle de composition qui peut être surévalué ou sous-évalué, selon l'histoire des géniteurs : éternel enfant, enfant modèle, fragile, rebelle ou réparateur (voir encadré). Dans tous les cas, ce rôle est éloigné de la nature profonde de l'individu qui a la possibilité de s'identifier au personnage imposé… Ou de partir à la quête de sa réalité intérieure.
Tendre l'oreille vers soi
Il est en effet envisageable d'entamer une démarche, comme un apprentissage, qui permet de s'apprivoiser soi-même, de retrouver pas à pas le chemin vers la confiance en soi, le regard de bienveillance posé sur sa propre personne (voir : Au plus proche de soi-même).
L'aide du thérapeute peut être secourable dans la mesure où celui-ci est censé poser sur le patient un regard empreint de bienveillance et de "considération positive inconditionnelle".
Muriel Mazet donne quelques conseils pour cheminer sur cette voie : savoir doser naïveté et méfiance ; ressentir, s'émouvoir, éprouver ; s'accepter, consentir à nos fissures ; se donner le droit à l'erreur ; tendre l'oreille vers soi… L'importance qu'on accorde au regard extérieur ne serait que le révélateur d'une mauvaise estime de soi, d'un manque de confiance, d'un jugement trop sévère porté sur ses failles, ses fêlures, ses doutes.
"Le regard de l'autre, qu'il soit porteur de vérité, simple projection ou interprétation de notre part, parfois jusqu'à l'extrême de la persécution, ne prendra d'importance qu'en fonction du regard que nous portons sur nous-mêmes…"
Source :
*Se libérer enfin du regard de l'autre, Guérir de ses blessures et s'aimer soi-même, Muriel Mazet, éditions Eyrolles
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Des rôles imposés aux enfants
Quelques exemples de statuts que les parents imposent inconsciemment aux enfants…
L'enfant modèle : un "mini-adulte" qui satisfait le désir des parents, obéit à leurs règles, tacites ou non, et qui finit par s'oublier lui-même.
L'enfant fragile : toujours atteint d'un souci de santé, il focalise sur lui attention et compassion pour répondre au désir d'une mère trop attentionnée ou pour empêcher ses parents de se séparer.
L'éternel enfant : celui qui ne grandit pas, qui ne va jamais jusqu'au bout des choses, qui a besoin d'être assisté, qui rend les autres responsables de ses échecs, pour répondre au désir inconscient des parents qu'il reste leur "tout-petit".
L'enfant rebelle : turbulent, téméraire, hypersensible, curieux, qui s'oppose sans cesse aux règles familiales pour faire face à l'autoritarisme et au manque d'écoute de l'entourage.
L'enfant réparateur : le thérapeute de ses parents, censé sauver les siens du chagrin, d'un deuil, d'une situation de couple malheureuse, qui prend l'habitude de prendre soin des autres à défaut de lui-même.