La transplantation de selles

La transplantation de selles

La transplantation de microbiote fécal est devenue depuis deux ou trois ans le traitement recommandé en gastro-entérologie pour certaines infections récidivantes. Son potentiel pourrait concerner la plupart de nos maladies de société…

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Sommaire

- "Soupe jaune" ou "sirop doré"
- Des recommandations récentes
- Une efficacité de 80 %
- Comment on s'y prend
- Choisir le donneur
- Une recette de cuisine
- Par voie haute ou basse
- 25 centres en France
- Des perspectives d'avenir

Vous ne rêvez pas en lisant ces lignes. Derrière le terme "transplantation de microbiote fécal", il y a une réalité qui peut surprendre et faire frémir certains. Il est effectivement question pour un malade de recevoir dans son tube digestif les excréments d'un donneur… Ce n'est pas très glamour, certes, mais redoutablement efficace.

"Soupe jaune" ou "sirop doré"
Cette pratique n'est pas nouvelle. "La méthode remonte au 4e siècle où Ge Hong, médecin et alchimiste chinois, avait administré par voie orale une suspension fécale pour traiter avec succès des intoxications alimentaires", raconte Rui Batista*, pharmacien, praticien hospitalier à l'hôpital Cochin à Paris. "Douze siècles plus tard, un autre médecin herboriste chinois faisait absorber des selles fraiches ou fermentées pour traiter des maladies inflammatoires abdominales. On appelait ça de manière imagée "yellow soup" ou "golden syrup". Plus récemment, pendant la 2de Guerre Mondiale, les soldats allemands de l'Afrika Korps, lorsqu'ils avaient des dysenteries, absorbaient des selles sèches de chameaux sur les conseils des bédouins."

Dans la littérature médicale "moderne", en 1958, on trouve dans la revue "Surgery" un cas décrit par Ben Eiseman, un chirurgien américain. Quatre patients atteints d'une colite pseudo-membraneuse ont été sauvés en quelques jours après avoir absorbé des lavements fécaux.

Des recommandations récentes
Mais la vogue actuelle a commencé en janvier 2013, quand une équipe hollandaise a constaté l'extrême efficacité des résultats de ce type de transplantation. "De cette étude hollandaise ont découlé un certain nombre de recommandations, au niveau international, afin d'utiliser la transplantation de microbiote fécal dans le cadre d'infections récidivantes à "Clostridium difficile" et encadrer les essais cliniques liés à cette pratique. En Europe et en France, l'encadrement date de mars 2014", explique Rui Batista.

Une efficacité de 80 %
Le "Clostridium difficile" (prononcer : "clostridiom difficilé") est une bestiole pas très sympa qui intervient essentiellement dans les infections nosocomiales, souvent à l'occasion d'une antibiothérapie mal conduite, trop longue. "Les patients atteints par ce type d'infections sont des gens qui ne sortent plus, qui n'ont plus de vie sociale. Ils ont cinq, six ou sept diarrhées par jour. Après le traitement leur vie a changé !", se réjouit Rui Batista.

L'hôpital Cochin, à Paris, a commencé à faire des transplantations de microbiote fécal en 2014. "L'efficacité du traitement a été de 80 %, ce qui est conforme à ce qui existe dans la littérature médicale".

Comment on s'y prend
La transplantation se déroule sous la responsabilité du pharmacien hospitalier car, dans ce cadre, le microbiote fécal est considéré comme un médicament.
Si le patient est éligible au traitement, il va signer avec le médecin un document qui exprime son "consentement éclairé".

Choisir le donneur
De son côté le donneur doit remplir un questionnaire et répondre à un certain nombre de conditions : être âgé de 18 à 65 ans, pas de surpoids, pas de pathologies chroniques, de troubles digestifs, d'antécédents de fièvre typhoïde, pas d'épisodes récents de diarrhées, de voyages dans des zones à risque, de piercings ou de tatouages récents, pas de pratique sexuelle à risque, de lésion anale…

Le jour où le donneur fait son don, il subit des analyses de sang très complètes pour exclure notamment un certain nombre de pathologies comme la syphilis et d'autres virus.
Une fois que ces analyses sont validées, les selles sont recueillies dans des seaux spéciaux placés dans les toilettes. On pratique ensuite sur ces selles des examens approfondis pour s'assurer de leur innocuité.

On peut faire des dons anonymes ou dirigés. "Mais si le donneur est proche du patient et qu'il est récusé à cause d'une pathologie, ce peut être délicat", précise Rui Batista. "On préfère donc avoir des donneurs anonymes, gérés en amont."

Une recette de cuisine
Les selles du donneur sont ensuite traitées par des préparateurs qualifiés. On prend 50 à 100 g de selles, on y ajoute un mélange de chlorure de sodium désoxygéné et de 10 % de glycérol pour protéger le prélèvement lors de sa congélation. On passe le tout au blender. Puis le mélange est filtré à travers une compresse de gaze stérile. Il est recueilli soit dans une poche à lavement soit, pour la congélation, dans un flacon en polycarbonate qui sera dûment étiqueté. La congélation se fait à -80°C, le transport à -20°C.

Par voie haute ou basse
"La préparation est ensuite administrée soit par voie haute, par sonde ou fibroscope, soit par voie basse, par lavement ou colonoscopie. Le receveur doit éviter d'avoir des selles pendant au moins 4 heures après la transplantation. Il peut y avoir autant de traitements qu'il y a de rechute."

25 centres en France
La transplantation de microbiote fécal nécessite des locaux et du matériel dédiés ainsi que du personnel formé. Il y a environ 25 centres en France qui la pratiquent : "à Paris il y a Saint-Antoine, la Pitié Salpêtrière, Henri Mondor et Cochin, et puis il y a Nantes, Lille, Marseille…"

Des perspectives d'avenir
"Pour l'instant on transplante un écosystème : virus, parasites, levure, champignons, bactériophages. Un jour, on pourra faire une sélection des espèces les plus pertinentes", projette Rui Batista. (Voir encadré.)

Les perspectives cliniques de ce traitement sont nombreuses : diabète de type 1, de type 2, obésité, maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (rectocolites hémorragiques ou maladie de Crohn), pathologies articulaires (comme la spondylarthrite ankylosante), Parkinson, Alzheimer, sclérose en plaques…
"Il y a de nombreux essais cliniques en cours dans tous ces domaines. C'est le début d'une grande aventure passionnante !"

 

*Propos recueillis aux 34e Rencontres des Médecines Alternatives et Complémentaires à l'hôpital Tenon
Sources complémentaires :
Wikipédia :
Bactériothérapie fécale
Clostridium difficile

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Nos amies, les bactéries

Notre corps est habité par de très nombreux micro-organismes : bactéries, virus, champignons, levures, bactériophages, parasites (voir : L'intestin : un rôle stratégique pour notre santé).

"En 2005 on estimait à 1014 le nombre de micro-organismes dans le tube digestif et on dénombrait 500 espèces différentes. Aujourd'hui on en dénombre plus de 3 000, essentiellement anaérobies (qui ne vivent que sans oxygène). Ces bactéries représentent plus de 60 % du poids sec des selles. Nous avons en nous 10 fois plus de bactéries que de cellules humaines. On les répartit aujourd'hui en quatre familles : les bacteroidetes, les actinobactéries, les firmicutes, les protéobactéries", détaille Rui Batista.

Notre microbiote (on disait autrefois "flore") intestinal varie selon les âges de la vie. "Nous sommes stériles dans le ventre de notre mère et c'est à l'accouchement que nous prenons contact avec nos premières bactéries. La diversité bactérienne évolue ensuite tout au long de la vie." 

Vie Saine et Zen