Que de confusion ! Que de cacophonie ! Que de désinformation ! Et pourtant comment ne pas entendre la colère et la détresse de ces agriculteurs, victimes d’un modèle à bout de souffle qui va dans le mur financier, écologique et sanitaire et qui peine à se redéfinir ? Les revenus sont en chute libre, notamment du fait de la hausse de l’énergie, des prix bas pratiqués par la grande distribution, de la concurrence des produits importés dans le cadre des traités de libre-échange ou de la guerre en Ukraine, sans parler des aléas climatiques… L’agriculture productiviste a un fort impact sur le climat (18 % des gaz à effet de serre) et sur l’environnement : pollutions de sols et des nappes phréatiques, arrachage des haies, arasage des talus, comblement des ruisseaux… En trente ans, les pesticides ont éliminé 80 % des insectes, et en quinze ans ils ont tué 30 % des oiseaux.
Alors si l’agriculture va mal, ce serait la faute de Bruxelles et des écolos ? C’est pourtant la FNSEA, le syndicat majoritaire, qui négocie la PAC (Politique Agricole Commune) en impulsant des règles favorables aux "grandes cultures" (céréales, oléo-protéagineux et agro-carburants), ne laissant que quelques miettes aux éleveurs, à la polyculture d’élevage, à l’agrobiologie. Quant aux Verts, ils n’ont pas de Commissaire européen, pas de ministre de l’Agriculture, et aucune autorité sur la PAC.
Alors ce serait l’excès de normes ? On peut toujours simplifier mais les normes sont des protections, notamment pour les consommateurs, pour la santé publique, pour l’environnement. Et aussi pour les paysans comme dans les AOC et la défense du camembert fermier.
Alors il serait grand temps de mettre un coup d’arrêt à cet insupportable "agribashing" ? De quoi s’agit-il ? Mystère. Il n’a échappé à personne qu’une large majorité de Français soutient les agriculteurs en colère. Cet "agribashing" imaginaire serait plutôt une trouvaille de communication pour montrer du doigt les détracteurs de l’agro-industrie.
Alors il serait urgent de défendre la souveraineté alimentaire ? L’agriculture française est largement dépendante des importations d’engrais et de soja pour assurer ses exportations. Il serait effectivement souhaitable de se mettre en ordre de bataille dans un objectif d’autosuffisance et de localisme.
Alors les écolos-bobos seraient les ennemis des agriculteurs ? Cette fracture est artificielle et dommageable aux premiers comme aux seconds. À part quelques personnages hors sol, ils mènent le même combat. Le différent ne se situe que sur le rythme de la transition. Ce qui est certain, c’est qu’il n’y a pas d’écologie possible sans agriculture et pas d’agriculture possible sans écologie.
Il y a de quoi être inquiet pour l’avenir. Les mesures du gouvernement qui renforcent la dépendance aux combustibles fossiles ou aux pesticides vont dans le sens inverse de la solution et présagent des lendemains encore plus compliqués. L’absence de vision dans ce domaine laisse pantois. Dans Le Monde, Marc-André Sélosse, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, alerte sur la contamination au cadmium des phosphates des engrais minéraux : les Français avalent dans leur alimentation 1,4 fois la dose maximale recommandée par l’OMS pour cette substance toxique et cancérigène ! À cet égard, la pause dans le plan Ecophyto, si elle se poursuit dans la durée, est l’un des pires signaux qui soient.