Portrait : Philippe Desbrosses, pionnier du bio

Portrait : Philippe Desbrosses, pionnier du bio

Philippe Desbrosses est l'un des pionniers du bio en France et dans le monde. Il mène depuis de nombreuses années un combat sans répit concernant l'un des enjeux essentiels pour une alimentation de qualité : la préservation des semences paysannes.

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Sommaire

- L'origine de votre engagement pour l'environnement ?
- Votre parcours professionnel ?
- Qu'est-ce qui vous ramène à la terre ?
- Et vous abandonnez le show-biz ?
- Votre épouse vous a suivi ?
- Porte-parole du bio ?
- Quel est votre combat principal aujourd'hui ?
- Vous lancez donc un nouveau mouvement ?
- Quels sont vos objectifs ?

Agriculteur, docteur en sciences de l’environnement, Philippe Desbrosses* a participé activement dans les années 1970 à la création des labels bio au niveau national et international (voir : Six idées reçues sur le bio). Il anime depuis 1999 l'association Intelligence Verte, qui a pour objet la sauvegarde de la biodiversité, et vient de lancer Graines de vie, un mouvement citoyen pour la sauvegarde des variétés potagères et fruitières menacées de disparition.

Qu'est-ce qui est à l'origine de votre engagement pour l'environnement ?
Philippe Desbrosses : Le déclic a sans doute été mon éducation paysanne chrétienne. Je suis né en Sologne, à Millançay. Très jeune, j'étais enfant de chœur et même bedeau de la commune. À 12 ans, je faisais les moissons. Cela m'a permis de me confronter très tôt à la vie adulte et de faire un travail qui servait la communauté. Ma famille a été un élément fondamental de mon évolution car on me laissait faire ce que j'avais envie de faire. Depuis cette époque, je lis énormément.

Quel a été votre parcours professionnel ?
PhD : J'ai fait un peu de journalisme. Pendant 10 ans, j'ai animé un groupe de musique dont j'étais le guitariste et le manager. J'avais épousé en 1961 Jacqueline Alan, une accordéoniste qui est passée à l'orgue et au piano par la suite. On a fait la première partie de tous les artistes connus de l'époque. Dutronc nous a fait rentrer chez Vogue. On s'est même retrouvé au Hit Parade d'Europe 1 avec un titre qui s'appelait "Belisama" !

Qu'est-ce qui vous ramène à la terre ?
PhD : À la fin des années 60, mon père rencontre mon ancien professeur d'agriculture qui lui dit : "on s'est trompé sur toute la ligne, il faut maintenant qu'on réapprenne tout le contraire de ce qu'on a appris". Du jour au lendemain, mes parents se convertissent à l'agriculture biologique. Cet ancien prof m'entraîne dans tous ses stages, notamment de biodynamie. En 1969, on adhère à Nature et Progrès, la première certification de l'agriculture biologique, et je me retrouve militant dans tous ces mouvements.

Et vous abandonnez le show-biz ?
PhD : On envoie promener le faste, les frivolités, les costumes à paillettes et on se retrouve en bottes dans la ferme avec la certitude de démarrer quelque chose de très important.

Votre épouse vous a suivi ?
PhD : Elle en a un peu souffert parce que c'était un gros changement de vie. Mais elle m'a suivi et on est resté ensemble jusqu'à ce qu’elle quitte le monde des apparences en 2003. Elle s'est mise à écrire. Elle a écrit notamment des recettes gastronomiques, par exemple : "Les secrets de l'alimentation saine", "Le régime sans viande". On testait plein de choses. On a fait connaître le potimarron qui a été amené en Europe par Oshawa, le père de la macrobiotique au Japon.

Comment êtes-vous devenu le porte-parole du bio ?
PhD : En 1974, j'ai écrit à Jacques Chancel qui m'a reçu dans son émission culte "Radioscopie". Sans l'avoir voulu, je suis alors devenu le porte-parole de ces mouvements bio naissants. J'ai participé à la mise en place des cahiers des charges du label AB qui a été créé en 1983 et j'ai été président de la commission du label AB jusqu'en 2007. Au niveau international, j'ai été administrateur pendant 4 ans de la Fédération Mondiale (IFOAM : International Federation of Organic Agriculture Movements) dont j'ai créé la délégation européenne.

Quel est votre combat principal aujourd'hui ?
PhD : Je continue d'écrire, je poursuis l'enseignement et mes recherches. Je continue de collecter des variétés légumières et fruitières qui sont peu ou pas connues. Par ailleurs, nous avons une collection de 1 000 variétés qui pourraient se perdre : les graines vivent dans les sols et meurent dans les conservatoires (voir encadré) ! On a particulièrement besoin de cette biodiversité aujourd'hui face au changement climatique qui va demander une grande capacité d'adaptation des végétaux. Il s'agit d'un patrimoine de la nation qui devrait être protégé par un service public ! Or, au contraire, l'État empêche la circulation de ces semences traditionnelles et se fait ainsi complice des grands semenciers comme Monsanto qui s’approprient notre patrimoine commun. Ce sont des gens comme nous qui devraient être soutenus pour sauvegarder ces variétés, comme l'ont fait des générations de paysans, gratuitement, depuis des millénaires.

Vous lancez donc un nouveau mouvement ?
PhD : Le schéma économique actuel et les tracasseries administratives nous ont poussé à passer sous la forme associative. Nous sommes donc en train de lancer le Mouvement "Graines de vie" : des associations en toile d'araignée sur le territoire qui s'organisent pour retrouver les échanges que pratiquaient autrefois les paysans. Le mouvement a rencontré un vif succès : par le crowdfunding on voulait obtenir 54 000 €, on a levé 65 000 €. En plus, nous avons obtenu de l'aide venant du mécénat et des fondations.

Quels sont vos objectifs ?
PhD : Nous allons former des gens gratuitement à la reproduction des plantes : réapprendre les tours de main et le savoir-faire que tous les paysans connaissaient autrefois. Chacun pourra refaire ses graines et les multiplier, ce qui ne sera pas répréhensible car il n'en sera pas fait commerce. Cela nous permettra de retrouver notre autonomie et de cesser d'être les otages permanents de ce grand marché destructeur. Le système actuel est préjudiciable pour tout le monde, y compris pour ceux qui en profitent à court terme car la disparition des espèces annonce celle de l’humanité.

 

*Auteur ou co-auteur notamment de :
Guérir la terre, éditions Albin Michel
Manifeste pour un retour à la terre, éditions Dangles
Face à l'univers, éditions Autrement

 En savoir +

La Ferme de Sainte-Marthe

Vous avez créé une sorte de conservatoire des semences paysannes…
PhD : Depuis le début des années 80 nous avions un catalogue de graines pour jardiniers. On parcourait les foires avec nos 107 variétés de courges multicolores et multiformes, 250 variétés de tomates…J'avais écrit un article dans "Pour nos jardins", l'organe des Jardins Ouvriers de France qui comptait 900 000 abonnés. À la suite de cet article, j'ai reçu des sacs de courriers de jardiniers voulant acheter des graines de potimarron. En 1982 j'ai donc démarré la vente de semences par correspondance.

Quand avez-vous créé les entretiens de Millançay ?
PhD : Ils sont nés en 1992. Ils devaient durer seulement une année parce qu'il y avait une actualité autour de la réforme de la PAC (Politique Agricole Commune). Mais compte tenu du succès, on a continué chaque année à faire ces conférences, ces débats, ces ateliers qui sont devenus récemment les entretiens de Sologne.

Vous avez aussi monté un centre de formation…
PhD : Lorsque j’ai pris la suite de mes parents à la Ferme de Sainte-Marthe j’avais déjà ce projet pédagogique. En 1995, j'y ai démarré le centre-pilote de formation à l'agriculture biologique. Les écuries sont devenues des salles de cours. On a reçu des milliers d'élèves et le succès ne se dément pas. Six ou sept mois de la belle saison sont consacrés à la formation de stagiaires qui viennent du monde entier.

 

Site : Ferme de Sainte Marthe, grainetier bio

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