Après dix ans, bilan du programme de recherche en neuropsychologie baptisé 13-Novembre et démarré quelques mois après les attentats…
Après un événement traumatisant, pourquoi certains témoins développent-ils un trouble de stress post-traumatique et pas d’autres ? Quels sont les mécanismes neurologiques à l’œuvre ? Le récit qu’en fait la société peut-il faciliter ou contrarier la guérison ? Comment s’articulent les mémoires individuelles, collectives, sociales (ou sociétales) ? Le Programme 13-Novembre a conjugué l’expertise de nombreux chercheurs : neurobiologistes, psychopathologues, sociologues, historiens, neuropsychologues, spécialistes d’intelligence artificielle, de big data, linguistes…
Il faut savoir qu’en temps normal, notre mémoire n’est pas figée. Nos souvenirs évoluent au fil du temps, des relations, des rencontres, des convictions, des paroles. En cas d’exposition à un choc intense, la mécanique se grippe chez certaines personnes, la mémoire semble se figer : le traumatisme envahit l’ensemble de l’identité de la personne. Les individus souffrant de trouble de stress post-traumatique se retrouvent ainsi contraints de revivre en boucle des éléments saillants de l’événement qui a menacé leur existence.
Le symptôme principal de ce trouble : les "intrusions". Les personnes revoient des images, réentendent des sons ou perçoivent des odeurs de la scène du traumatisme. Il ne s’agit pas de "souvenirs traumatiques". Elles "revivent" la scène, sous forme de "flashbacks" disparates, désorganisés, chaotiques, très sensoriels. Pour s'en protéger, la personne développe des mécanismes d'évitement qui finissent par avoir un impact sur sa vie sociale. À cela s'ajoutent les stigmates de la blessure psychique : cauchemars, sursauts, troubles du sommeil, pensées négatives voire parfois dépression, anxiété, addictions…
Être exposé à un événement traumatique ne mène pas systématiquement à développer un trouble de stress post-traumatique.
La trajectoire la plus fréquente est la résilience, pour environ 75 % des gens.
Ce chiffre évolue au fil du temps.
Durant les premières heures, les premiers jours, 90 % des gens font des cauchemars, repensent à tout cela.
Au bout d’un mois, environ 50 % des gens continuent de faire des cauchemars, ont un sentiment de stress augmenté, sont méfiants dans la rue…
Au-delà de cette période, 25 % développent un trouble de stress post-traumatique.
Et parmi ces 25 %, environ 15 % finissent par se remettre avec le temps.
Les professionnels (policiers, membres des professions médicales…) semblent mieux protégés, probablement en raison de leur formation et parce qu’elles sont intervenues avec un rôle précis, selon un protocole d’intervention bien rodé.
Le soutien social est primordial car les chemins de la résilience passent par une synergie des mémoires. Par exemple, si les attentats du 13-Novembre deviennent "les attentats du Bataclan", l’effet de ce raccourci est délétère sur les personnes présentes au Stade de France ou sur les terrasses des cafés parisiens attaqués…
Si on ne prend pas en compte ces dimensions collectives et sociales en plus de la dimension individuelle, il n’est pas possible de comprendre les pathologies qui en découlent.
Prendre soin de notre mémoire commune, c’est soigner l’individu et la société.
Source : The Conversation, Francis Eustache - 12/11/25
