Profession : maraîcher en permaculture

Profession : maraîcher en permaculture

Ce serait le métier le plus difficile de l'agriculture. Pourtant le consommateur est heureux de pouvoir mettre les produits frais du maraîcher dans son assiette. Ceux de Charles Hervé-Gruyer ont une saveur particulière. Ils sont le fruit d'une toute nouvelle méthode : la permaculture.

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Sommaire

- Comment êtes-vous arrivés au maraîchage ?
- Que faisiez-vous avant ?
- Pourquoi avoir choisi la permaculture ?
- Ça consiste en quoi ?
- Et appliqué à l'agriculture ?
- Vous arrivez à quel volume de production ?
- C'est beaucoup 110 paniers ?
- Du bio intensif ?
- Agriculture conventionnelle : des rendements plus faibles ?
- Différence entre un produit en bio et en permaculture ?
- La méthode de l'avenir ?
- Quels types de formations organisez-vous ?
- Conseil pour un jeune ?

Comment êtes-vous arrivés au maraîchage ?
Charles Hervé-Gruyer : Très progressivement. Ma femme et moi ne sommes pas issus du monde agricole, il a fallu plusieurs années. La Ferme du Bec Hellouin était au départ une expérience familiale pour nourrir nos enfants aussi sainement que possible. Petit à petit nous nous sommes pris au jeu, ça nous a passionné et nous avons décidé d'en faire notre métier en 2006.

Que faisiez-vous avant ?
C.H-G : J'étais éducateur. Pendant 22 ans j'ai travaillé sur un bateau école, navigant autour du monde pour étudier la planète et les peuples qui vivent en harmonie avec la terre. Ma femme était juriste international mais déjà très sensible à tout ce qui était santé au naturel. Ensuite on s'est formés tous les deux pour être thérapeutes. Nous avons exercé quelques années des pratiques de santé holistiques, sophrologie, yoga, massage… Cela a renforcé notre intérêt pour l'alimentation car c'est ce qui fonde notre santé.

Pourquoi avoir choisi la permaculture ?
C.H-G : Nous avons découvert la permaculture en 2008 et tout de suite, ça nous a fasciné. Cette approche naturelle réunifie tout dans une même vision : pratique agricole, santé, impact sur l'environnement, sur la société…

Ça consiste en quoi ?
C.H-G : C'est un système conceptuel qui permet d'imaginer des installations humaines durables, harmonieuses et inspirées des écosystèmes naturels. La permaculture peut être appliquée à une entreprise, à une ville. Par exemple, le mouvement Villes en transition est né de la permaculture.

Et appliqué à l'agriculture ?
C.H-G : On porte une immense attention au sol avec en particulier une culture sur buttes qui permet de créer de la fertilité. La production d'humus croît d'année en année, le sol est de plus en plus vivant, plein de bactéries, de micro-organismes, de vers, etc.
On cherche aussi à retrouver la pratique des associations de culture qui a disparu avec l'arrivée du machinisme : sur une même parcelle de terre on plante souvent deux, trois, quatre légumes différents simultanément.

Vous arrivez à quel volume de production ?
C.H-G : Notre ferme fait 16 ha. On a 12 ha de bois, un verger conservatoire de 2 ha avec 500 variétés de fruitiers différents. La partie cultivée en maraîchage fait à peu près 7 000 m2. On produit 110 paniers de légumes chaque semaine avec lesquels on alimente quatre AMAP, deux restaurants, quelques clients occasionnels et nos formations qui représentent jusqu'à 40 personnes en pension complète.

C'est beaucoup 110 paniers ?
C.H-G : La moyenne nationale tourne autour de 40 paniers/ha, nous sommes à environ 200 paniers/ha. C'est une bonne surprise ! Et c'est encore largement améliorable ! Depuis un an et demi beaucoup d'agronomes s'intéressent à ce qui se passe ici. Nous démarrons un projet de recherche avec l'INRA et AgroParisTech pour explorer le potentiel de ce type de maraîchage.

On pourrait donc faire du bio intensif ?
C.H-G : On pourrait parler de production bio-intensive ou écologiquement intensive. C'est un peu simpliste d'opposer une agriculture chimique intensive et une agriculture écologique qui serait forcément extensive. On découvre que la mécanisation peut être un frein à la productivité. Chez nous, tout se fait à la main, ce qui permet de densifier les cultures et d'obtenir des rendements qu'on ne pourra jamais obtenir avec la mécanisation.

Voulez-vous dire que l'agriculture conventionnelle a des rendements plus faibles ?
C.H-G : Aujourd'hui, il faut 10 à 12 calories d'énergie fossile pour faire 1 calorie alimentaire. C'est contre-productif. Dans les années 1930 un paysan chinois, pour 1 calorie investie en retirait 40 !
L'agriculture chimique est très dispendieuse des ressources de la nature et notamment détruit les sols à vitesse grand V. Selon la FAO on a déjà perdu 30 % des terres arables de la planète en 40 ans !

Est-ce qu'il y a une différence pour le consommateur entre un produit bio et un produit bio en permaculture ?
C.H-G : Je n'ai aucun élément scientifiquement fondé qui me permette de l'affirmer. Nos fruits et légumes devraient peut-être être un peu plus concentrés en nutriments, en saveur, en vitamines, en antioxydants, avec un peu moins d'eau, car le sol sur lequel ils poussent est plus vivant.

Pensez-vous que c'est la méthode de l'avenir ?
C.H-G : L'étude qu'on démarre avec l'INRA va essayer de valider l'hypothèse que 1 000 ou 2 000 m2 cultivés pourraient faire vivre un paysan. Si c'est le cas c'est très intéressant parce que ça pourrait donner un élan à l'agriculture urbaine. On peut même imaginer que ça fonctionne avec 500 m2 dans le cadre d'une pluriactivité parce que je pense que le paysan de demain sera souvent dans ce cadre.

Quels types de formations organisez-vous ?
C.H-G : Dans notre éco-centre, on organise des formations pour les jardiniers amateurs et une formation professionnelle de maraîcher en permaculture parrainées par Pierre Rabhi et Philippe Desbrosses…

Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui veut se lancer dans le maraîchage bio ?
C.H-G : C'est un métier complexe, exigeant et peu rémunérateur. Je lui conseillerais donc de prendre le temps de bien se former, de faire des stages chez des maraîchers et ne démarrer son projet que quand il aura une véritable expérience. Entre cultiver un grand jardin amateur et alimenter une production 12 mois sur 12, il y a un monde.

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Origines et références

La permaculture vient d'Australie où, dans les années 70, deux écologistes, Bill Mollison et David Holmgren, remirent en cause les méthodes de l'agriculture d’après-guerre qui empoisonnaient les terres et les rivières, réduisaient la biodiversité et appauvrissaient la fertilité des sols.
Inspirés des principes de l’agriculture naturelle du japonais Masanobu Fukuoka, ils créent donc la "permaculture" et en exposent la philosophie dans un livre en 1978.
Par la suite, leur pratique leur permet de préciser le concept et de l'ouvrir de manière plus générale à la création de sociétés humaines durables.

La permaculture est désormais reconnue mondialement et mise en œuvre dans les pays occidentaux (notamment anglo-saxons) et dans les pays du sud. En France elle est promue notamment par l'association Brin de paille.

Charles Hervé-Gruyer essaie, lui, de faire une synthèse entre les concepts de la permaculture, les travaux de l'américain Eliot Coleman qui inventé notamment un semoir de précision et la tradition des maraîchers parisiens du 19e siècle qui arrivaient à une production de très grande qualité toute l'année avec un haut niveau de productivité.

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