Les dérives du médicament

Les dérives du médicament

La médecine allopathique des 30 dernières années aurait connu une dérive due au marketing et à la course aux profits… C'est le point de vue original, radical et décoiffant du professeur Philippe Even, médecin et chercheur, qui connaît bien le système de l'intérieur.

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Sommaire

- Un objectif de profit de 20 %

- Une convergence d'intérêts

- Médias et pouvoirs publics

- L'avenir du médicament

- Des patients déboussolés

Jusqu'en 1985, tout va bien ! L'industrie pharmaceutique a inventé toutes les grandes molécules qui ont révolutionné la médecine depuis la guerre et a véritablement investi dans la recherche. Philippe Even*, professeur émérite à l'Université Descartes et président de l'Institut de recherche Necker-Enfants malades, lui reconnaît le mérite d'avoir "prolongé de 20 ans la vie des hommes".

Un objectif de profit de 20 %
Mais aujourd'hui la démarche a totalement changé.
"Les grands fonds d'investissement sont maintenant propriétaires des sociétés et choisissent des managers financiers avec pour objectif un profit de 20 % par an. Aucune industrie ne fait des bénéfices pareils. Par exemple le pétrolier Total ne fait que 10-15 %. C'est une politique de court terme."

L'industrie pharmaceutique est devenue, selon Philippe Even, la plus puissante du monde avec l'industrie informatique. Et aujourd'hui, derrière la vitrine flatteuse de quelques rares résultats, on fabrique de toutes pièces de grands marchés de masse grâce à deux méthodes : l'extension de maladies connues et la création de nouvelles maladies. (Voir : Les maladies inventées par la médecine)
Et s'il le faut, on n'hésite pas à biaiser les études cliniques (voir encadré).
En résumé : "On crée des médicaments virtuels pour des maladies virtuelles".

Une convergence d'intérêts
Mais l'industrie n'est pas la seule responsable. Il y a une convergence d'intérêts avec les médecins et les pharmaciens qui, compte tenu de leur nombre, ne peuvent vivre qu'à condition qu'une grande partie de la population soit malade où se sente malade.

"Une grande profession comme la médecine, avec environ 200 000 médecins en France dont 100 000 exercent réellement, ne peut pas vivre financièrement si elle se limite à prendre en charge les vraies maladies." Il suffit de faire le calcul : "à 30 € la consultation en moyenne, il faudrait 330 millions de consultations par an or il n'y a que 65 millions de Français ! D'où une philosophie à la Docteur Knock, la pièce de Jules Romain : pour que le médecin vive, il faut coucher la moitié du village, transformer l'hôtel en hôpital et garder ceux qui ne sont pas malades comme une sorte de réserve pour l'avenir et pour s'occuper de ceux qui sont malades. C'est exactement ce qui se passe actuellement."

Médias et pouvoirs publics
Les médias sont la plupart du temps complaisants et relaient non seulement les dangers avérés comme l'amiante ou le tabac mais aussi les "légendes" de l'industrie pharmaceutique.
"Le cholestérol en est l'exemple caricatural. Vous ne pouvez pas allumer la télévision sans que dans l'heure qui suit apparaisse quelque chose sur le cholestérol." (Voir : Cholestérol, faut-il s'en préoccuper ?)

Les pouvoirs publics ont également leur part de responsabilité. "Ils se mêlent de tout, ils prescrivent et interdisent avec des visées quasi électoralistes."

L'avenir du médicament
Selon Philippe Even, l'avenir de la recherche dans le domaine du médicament n'est pas brillant.
"Autant on peut attendre beaucoup des prothèses, sur lesquelles il y a eu beaucoup de progrès depuis 15-20 ans, mais dans le médicament la recherche piétine. On se rend compte que les maladies ne se limitent pas aux 20 ou 30 qu'on connaissait il y a 30 ans. Il y a au moins 500 variétés de cancers différentes dont 20 variétés de cancers du sein ou de la prostate de gravités très différentes. Quand on trouve une molécule, elle va marcher sur une cible précise et toucher un très petit nombre de gens. La recherche biologique de pointe est confrontée à la complexité et la diversité de la biologie. Elle a des milliers de maladies différentes à traiter et chacune devient une maladie rare."

Il serait raisonnable de comprendre que "la médecine, ce n'est pas le médicament, c'est l'utilisation du médicament, c'est soigner des malades pas des maladies. Des malades, il n'y en a pas deux pareils !"

Des patients déboussolés
Soumis à la propagande du marketing de la santé, les patients intériorisent la crainte des maladies et l'espoir suscité par les médicaments miracles.
Ils ont aussi tendance à être victimes de l'esprit de l'époque et de sa difficulté à assumer les imprévus. Il n'est pas toujours évident d'assumer pleinement les risques de l'existence, de devenir acteur de sa santé et de prendre une part active dans l'évitement de ces risques.
Par ailleurs l'état de maladie comporte des aspects positifs. "Les petites maladies ou les pseudo maladies sont nécessaires à l'équilibre psychologique de beaucoup de gens."

Selon Philippe Even, les patients ont donc leur part de responsabilité. Du reste les médecins ne font souvent que répondre à leur demande.
"Les malades se réfugient dans des protections artificielles auxquelles ils croient profondément. C'est une religion, le médicament."
Et si nous apprenions à nous affranchir de cette religion ?

 

*Auteur notamment avec Bernard Debré de :
Les leçons du Mediator : l'intégralité du rapport sur les médicaments, éditions Cherche-Midi
Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux, éditions Cherche-Midi
La vérité sur le cholestérol, éditions Cherche-Midi
Traducteur de :
La vérité sur les compagnies pharmaceutiques : Comment elles nous trompent et comment les contrecarrer, Marcia Angeli, éditions Le mieux-être
Médicaments effets secondaires : la mort, John Virapen, éditions Cherche-Midi

 En savoir +

Des études biaisées voire truquées

Pour tenir ses objectifs, l'industrie n'hésite pas, s'il le faut, à biaiser les essais cliniques :
- sélection des malades (on en élimine 90 % pour ne garder que ceux sur lesquels il y a le plus de chance de succès),
- flous des critères d'évaluation,
- suppression pure et simple des effets négatifs (dans le cas du Prozac les patients qui se sont suicidés ont été classés "perdus de vue").

"Vous n'imaginez pas ce qu'est le truquage des essais ! Quand une industrie cherche à s'ouvrir un marché et qu'elle met un demi-milliard de dollars dans un essai clinique, elle ne peut pas, à la fin de l'essai, conclure que la molécule ne sert à rien. Il faut absolument un résultat positif !", dénonce Philippe Even.

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