Vers une agriculture zéro pesticide ?

Vers une agriculture zéro pesticide ?

Choix de société et défi technologique, l'agriculture zéro pesticide est devenue une nécessité qui appelle à un changement profond des modèles agricoles.

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Sommaire

- Pesticides : pas de baisse en vue
- Des changements dans tout le secteur agricole
- De nouvelles habitudes alimentaires
- À l'échelle internationale
- Un modèle différent de l'agriculture biologique
- Une agro-écologie zéro pesticide
- De nouveaux dispositifs à imaginer
- À l'échelle internationale

Depuis toujours, les agriculteurs ont cherché des moyens de protéger leurs cultures des bioagresseurs, ces organismes vivants qui causent des dommages aux récoltes (champignons, bactéries, virus, prédateurs, parasites, "mauvaises herbes"…).
"Cependant le vrai boom de la protection des cultures n'a eu lieu qu'au 20e siècle avec le développement des pesticides de synthèse"*, expliquent Florence Jacquet et Julia Jouan, chercheuses à l'INRAE (Institut Nationale de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement).

Les systèmes agricoles sont ainsi devenus dépendants des pesticides et l'ensemble du secteur agricole et agro-alimentaire est structuré autour de leur usage. Pourtant il existe depuis quelques décennies une demande pressante de la société pour une agriculture sans pesticide pour des raisons simples de préservation de l'environnement et de santé publique (voir encadré).

Pesticides : pas de baisse en vue
Il faudra bien que l'agriculture réponde à cette demande mais le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle tarde à la faire. Les différentes tentatives des gouvernements successifs depuis 20 ans pour réduire les pesticides dans l'agriculture se sont soldées par un échec : sur la période 2009-2014, l'usage des pesticides a augmenté de 8 % alors que le plan Écophyto était censé le réduire de 50 % ! Et depuis, aucune baisse en vue malgré le lancement de nouveaux plans.*

Des changements dans tout le secteur agricole
Les chercheuses de l'INRAE mesurent la complexité du problème : il faut que les changements s'inscrivent dans la viabilité économique pour les agriculteurs et les filières, avec une production suffisante en quantité et en qualité. Cela doit concerner tous les acteurs du monde agricole y compris le secteur de la recherche qui doit ouvrir de nouveaux fronts.
À la clé, le nouveau modèle bénéficiera aux agriculteurs qui y trouveront une plus grande autonomie dans la conduite de leur exploitation, en se passant de certains intrants et en fournissant de nouveaux services environnementaux.

De nouvelles habitudes alimentaires
Les consommateurs devront également changer leur comportement en développant de nouvelles habitudes alimentaires (consommer local avec moins de viande) et en prenant en compte les contraintes économiques liées aux nouveaux modes de production.
À la clé, ils bénéficieront d'une alimentation plus saine et plus variée.

À l'échelle internationale
Les changements doivent se faire à l'échelle européenne et internationale et s'inscrire dans une nouvelle conception des systèmes de culture et des systèmes alimentaires prenant en compte le changement climatique, la restauration de la biodiversité, la préservation des ressources en eau et de la fertilité des sols ainsi que la sécurité alimentaire (voir : Une agriculture pour nourrir l'humanité).

Un modèle différent de l'agriculture biologique
Tenant compte de tous ces paramètres, le modèle préconisé par les chercheuses de l'INRAE diffère de l'agriculture biologique dont elles reconnaissent les atouts mais soulignent les faiblesses : rendements peu performants, persistance de l'utilisation de traitements à base de cuivre (notamment la bouillie bordelaise).

Elles pensent en revanche nécessaire de continuer à utiliser les engrais de synthèse mais avec parcimonie, en intégrant plus de légumineuses ainsi que des espèces comme les lupins, le pois chiche ou le sarrasin capables de mobiliser le phosphore insoluble très présent dans le sol.

Une agro-écologie zéro pesticide
Il s'agit de mettre en place "une agriculture sans pesticides, fondée sur les principes de l'agro-écologie et privilégiant toute la palette des mesures de prophylaxie"*. La prophylaxie, pour l'humain comme pour les plantes, est l'ensemble des mesures à prendre pour prévenir les maladies. Ici ce sont des mesures de contrôle génétique et cultural : il est question de sélectionner les variétés capables de mieux valoriser les éléments nutritifs et de mieux se défendre contre les bioagresseurs, de donner une place majeure à la qualité des sols et de relocaliser les chaînes de transformation.

De nouveaux dispositifs à imaginer
Dans cette nouvelle agriculture, Florence Jacquet et Julia Jouan prévoient d'imaginer de nouveaux dispositifs.
"Dans une optique sans pesticides, le risque d'une maîtrise insuffisante des bioagresseurs subsiste, en particulier dans la phase de mise en place de nouvelles pratiques. Il faut, dès lors, pouvoir couvrir financièrement ce risque si on souhaite un engagement durable des agriculteurs dans cette voie. Pour cela, il est possible de développer des dispositifs assurantiels ou actuariels sous réserve que le risque ne soit pas systémique et que chaque agriculteur ait mobilisé l'ensemble des pratiques adaptées à sa situation."*

Tout le monde est concerné
On mesure l'ampleur des bouleversements requis pour avancer vers ce nouveau modèle agricole.
"C'est l'ensemble de la société et des acteurs du monde agricole qui sont concernés par un changement nécessaire des stratégies et des comportements."*

 

*Zéro pesticide, Un nouveau paradigme de recherche pour une agriculture durable, Florence Jacquet, Marie-Hélène Jeuffroy, Julia Jouan, Edith Le Cadre, Thibault Malausa, Xavier Reboud, Christian, Huyghe, éditions Quae

 En savoir +

Les pesticides : soupçonnés d'être des perturbateurs endocriniens

Les perturbateurs endocriniens sont des substances qui dérèglent le fonctionnement hormonal des organismes vivants. Ils peuvent avoir des effets délétères sur la santé humaine et sur l'environnement, notamment diminuer la fertilité ou perturber le développement du fœtus (voir : Perturbateurs endocriniens : quels enjeux ?).

Les perturbateurs endocriniens ne répondent pas aux principes généralement admis en toxicologie…
- Absence d'effet seuil, ce n'est pas "la dose qui fait le poison" : ils agissent même à faible dose et peuvent même être plus nocifs qu'à dose plus forte.
- Fenêtres d'exposition : la sensibilité aux perturbateurs endocriniens varie selon les périodes de la vie avec une sensibilité accrue lors du développement de l'embryon, de la petite enfance et de la puberté.
- Effet cocktail : leur toxicité peut être multipliée par 10 voire 10 000 lorsqu'ils sont associés.

Problème : ils sont interdits depuis 2018 mais leur identification reste problématique et les recommandations en terme de doses journalières admissibles ne prennent pas en compte l'absence d'effet seuil et encore moins l'effet cocktail.*

Vie Saine et Zen