Analyse historique des résistances à la vaccination, transposable à notre époque : refuser ce progrès scientifique, c’était s’opposer à l’État.
C’est ce que développe l’historien Jean-Luc Chappey dans son livre Pasteur et les antivax. Dans les années 1880, lorsque Louis Pasteur met au point le vaccin contre la rage, les débats sont d’une violence verbale comparable à ceux d’aujourd’hui avec son lot de fausses rumeurs : les vaccins transmettraient le "virus juif" ; les épidémies seraient "un mal imaginaire" inventé pour enrichir les producteurs de vaccins ; les maladies seraient "artificielles", créées en laboratoire par les vaccinateurs appartenant à l’oligarchie de la "science officielle" ; les individus vaccinés seraient "plus prédisposés que les non-vaccinés à être atteints des diverses maladies contagieuses", quand ils ne meurent pas directement du vaccin…
Jean-Luc Chappey se garde bien de traiter avec mépris ces pionniers du mouvement antivax. Bien que ces derniers aient eu scientifiquement tort et aient eu massivement recours à la désinformation, l’historien montre que leurs motivations dépassaient largement le débat purement scientifique. Instrumentalisés dans un moment de grande perturbation sociale et politique, les vaccins ont cristallisé malgré eux des craintes qui les dépassaient largement.
En 1885, Pasteur sauve un enfant atteint de la rage (maladie jusqu’ici mortelle et incurable) en lui injectant son vaccin. Il met en évidence l’existence des microbes, organismes invisibles mais responsables de nombreuses maladies, permet la réalisation de progrès considérables contre les infections notamment via la "pasteurisation". Mais Pasteur est aussi un habile homme d’affaires et ses travaux lui permettent de déposer des brevets sur des procédés de fermentation alcoolique qui contribuent à faire de lui l’un des savants les plus riches de son temps. Fervent soutien de Napoléon III, il se rallie ensuite à la République et sait cultiver ses réseaux, utiliser la presse pour lever les fonds nécessaires à ses travaux.
Pasteur développe un culte du secret autour de ses découvertes pour les protéger économiquement, refusant de soumettre l’analyse de ses travaux à ses pairs. Cela contribue à alimenter les soupçons de fraudes, de pratiques occultes voire de complots.
Avec la découverte des microbes, Pasteur impose l’idée d’une cause externe des maladies et d’une médecine de laboratoire, faite de microbiologistes et d’experts tenant l’opinion à l’écart.
Ses adversaires se lèvent donc, non sans raisons, contre une "oligarchie scientifique" et une "médecine commerciale" au service du capital et de ses profits. De nombreux médecins, de "l’école hippocratique", rejettent l’existence des microbes au nom d’une vision holistique de la santé humaine : les maladies ne seraient pas dues à l’infection par des agents pathogènes extérieurs mais aux déséquilibres internes du corps. La santé serait donc, selon eux, une question sociale qui nécessite de s’occuper d’un "art de vivre".
En promouvant les vaccins, Pasteur et le gouvernement sont accusés d’agir au détriment d’un véritable programme social en faveur des ouvriers et des démunis. La perspective de la vaccination obligatoire est ressentie comme une immixtion de plus en plus autoritaire de l’État dans les affaires privées des citoyens.
Les forces politiques conservatrices sont, dans un premier temps, les soutiens de Pasteur qui rencontre la méfiance ou l’hostilité de la gauche radicale et socialiste.
Les critiques du Pasteurisme ont encore aujourd’hui leur actualité : manque de transparence scientifique et refus de la critique, collusion avec des intérêts économiques privés et instrumentalisation de la science par un État qui écarte les "extrêmes" en s’arrogeant le monopole de la raison scientifique.
"Plus qu’une véritable alternative à la politique vaccinale, un Didier Raoult est progressivement devenu l’incarnation des opposants à l’État et aux représentants officiels de la science", conclut Jean-Luc Chappey qui préconise de démocratiser celle-ci. "Faire de la science et des objets scientifiques, tels que les vaccins, un espace ouvert de débat et non une zone confisquée par des gardiens du temple".
Source : Reporterre, Vincent Lucchese - 18/03/25